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samedi 13 avril 2024

Comment faire une découverte scientifique ?

 Comment faire une découverte scientifique ? Si je savais ! 


Je parlerais volontiers d'épistémologie, mais je sais que le mot fait peur : beaucoup d'amis que je rencontre se ferment comme des huîtres à l'évocation de ce mot, craignant une certaine philosophie de petit marquis, où le sens des mots n'est pas fixé, de sorte que les discours sont soit tautologiques, soit pas réfutables. Et puis, il a plus de trois syllabes, de sorte que l'on peut craindre des complexités théoriques inutiles. Certes la discipline est pratiquée par des individus qui sont pas toujours d'une clarté absolue, à l'aune des critères scientifiques (je parle des sciences de la nature, bien sûr). Certes la discipline est encombrée par quelques uns qui croient que les sciences ne sont qu'une activité sociale, en rien différente des religions… mais c'est là de l'idéologie et cela ne concerne pas l'activité réelle qui est désignée par ce mot : "épistémologie" vient d'épistémé, savoir, et de logos étude. L'épistémologie, donc, c'est l'étude du savoir et, en pratique, l'étude des sciences. Il y a, comme dans tout champ, des épistémologistes remarquables, et l'on ne saurait manquer d'évoquer Jean Largeault, décédé il y a quelques années, ou encore, avant lui, Emile Meyerson... ou Henri Poincaré, dont La science et l'hypothèse devrait être la lecture de tout jeune scientifique ! 

 

Epistémologie, philosophie des sciences... mais lesquelles ? 

Le mot "sciences" est plus court qu'épistémologie, mais -je me répète un peu par rapport à d'autres billets- il n'est pas moins ambigu, car il confond les sciences de la nature et les sciences de l'être humain et de la société, deux activités qui n'ont le plus souvent rien à voir, non pas que j'accuse nos amis géographes ou historiens de faire du mauvais travail, mais seulement que la base de ces sciences n'est pas l'acte de foi selon lequel le monde est écrit en langage mathématique. 

Autre ambiguïté que j'ai discuté ailleurs abondamment : la confusion des sciences de la nature et de la technologie, c'est-à-dire leur application, alors que, là encore, les deux activités sont bien différentes. 

Bref laissons de côté le mot "épistémologie" et gardons le mot "sciences" pour son acception réduite à "sciences de la nature", et posons cette question extraordinairement pratique, qui est celle que tous les scientifique des sciences de la nature doivent se poser (ou peuvent se poser, puisque je n'ai pas à juger de ce que les autres doivent faire) : comment faire une découverte ? Il me semble que, pour atteindre un objectif, il vaille mieux avoir une méthode raisonnable de l'atteindre, un chemin (methodon, en grec), et l'on voit mal pourquoi la découverte scientifique s'échapperait à la règle. Mais là encore, je peux me tromper, et c'est la raison pour laquelle je propose à mes collègues de répondre à ce billet afin que leur réponse soit publiée à côté du débat. 

 

Comment donc faire une découverte ? 

 Il est remarquable d'observer que les Grands Anciens, les Lavoisier, Faraday, Einstein, Galilée..., ne sont pas des individus d'une seule découverte, mais de plusieurs, ce qui corrobore mon hypothèse qu'ils auraient eu une méthode permettant la découverte. Laquelle ? Bien sûr, on peut balayer la question d'un revers de main, en disant que seuls comptent le travail, l'activité et l'intelligence, mais si j'accepte l'idée du travail, le mot "intelligence" m'arrête, car il en existe des formes innombrables : celle du corps (les athlètes), celle du coeur, celle des équations, celle de la chimie, celle de l'expérimentation… Et puis, s'il y a une intelligence de la découverte scientifique, en quoi consiste-t-elle ? Soit donc la question : comment faire des découvertes ? J'ai posé cette question à de grands scientifiques contemporains, et je m'intérese depuis longtemps à l'histoire des sciences et à l'épistémologie, notamment parce que ces disciplines peuvent nous livrer des méthodes restées implicites. Je livre ici un résultat rapide de mes enquêtes. Tout d'abord, il y a une méthode qui consiste à mettre en oeuvre une saine compréhension du travail scientifique, lequel consiste en (1) identification d'un phénomène ; (2) quantification de ce phénomène ; (3) réunion des données quantitatives en lois synthétiques (des équations) ; (4) recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois ; (5) recherche de prévisions expérimentales fondées sur les théories ainsi établies ; (6) test expérimental des prévisions. 

La recherche des mécanismes, par l'application de cette méthode est une façon de faire. Est-elle bonne ? En tout cas, elle est saine. D'autre part, dans la même veine, il y a ceux qui partent des théories, qu'ils cherchent à réfuter. On observera que c'est là se focaliser sur un autre aspect de la méthode scientifique. Autrement dit, on sait que les sciences de la nature produisent des théories insuffisantes que l'on cherche à réfuter afin de produire des théories meilleures. Ici, c'est l'écart à la théorie qui est important, et je nomme cela un symptôme. En pratique, imaginons que l'on ait fait des mesures et que l'on ait vu des régularités, telles que 1, 2, 4, 8, 16… , alors une irrégularité est intéressante, puisqu'elle nous met sur une piste nouvelle qui n'est pas dans la régularité. Il y a donc une méthode qui consiste à se focaliser sur ces symptômes, nos mauvaises descriptions théoriques. 

Troisièmement il existe des scientifiques pour qui le travail scientifique consiste à "résoudre un problème". Je n'ai pas très bien compris ce qu'ils entendent pas là, mais je pressens la question : il y aurai un problème à creuser, une incompréhension, par exemple, de sorte que cette méthode serait analogue à la première. Une quatrième méthode consiste à construire une sorte de "microscope" particulièrement puissant, et à observer le monde avec ce nouvel outil. Par "microscope", je ne désigne pas le classique microscope optique, mais tout nouveau moyen d'observation, par exemple aussi bien un synchrotron, qui délivrera des faisceaux avec lesquels on sondera la matière, qu'un microscope à force atomique, ou même des appareils de spectroscopie qui, révélant les signatures de phénomènes ou objets, nous mettront sur la piste de ces phénomènes ou objets. Bref, si nous avons un moyen d'observation que nos prédécesseurs n'avaient pas, alors nous pourrons observer des phénomènes ou objets qui n'avaient pas été vus, et c'est bien là ce qui se nomme "découverte" : ce qui était couvert est découvert. 

Enfin il y a cette méthode qui tient dans une phrase : "tout fait expérimental, tout résultat de calcul sont des cas particuliers de théories générales que nous devons inventer". Cette fois, il semble que l'activité proposée soit différente, puisqu'elle relèverait de l'invention et non de la découverte, mais je crois en réalité que la construction théorique est bien de cette nature. Il s'agit de construction ; non pas une construction au hasard, non pas une construction poétique, mais une construction extraordinairement encadrée par de nombreuses mesures expérimentales des phénomènes, de nombreuses caractérisations quantitatives, et par les équations qui ont réuni ces données en lois synthétiques. Nous avons fait des mesures pour explorer un phénomène, nous avons obtenu de très nombreuses données quantitatives, nous avons regroupé ces données en lois synthétiques et nous cherchons maintenant des explications mécanistiques de ces lois. Les mécanismes sont des phénomènes que l'on peut exprimer en termes d'équations, et les sciences de la nature se nourrissent de cela. 

Par exemple, quand fut établie la mécanique quantique, il y avait des phénomènes étranges pour des objets très petits, et les données quantitatives furent à l'origine de deux constructions théoriques qui semblaient initialement différentes, à savoir les matrices et les opérateurs. Je passe sur les détails historiques, mais j'observe surtout que, finalement, ces deux formalisme furent réconciliés, et ils devaient l'être, car ils correspondaient aux mêmes phénomènes et aux mêmes données quantitatives. Bref il y a cette nécessité d'élaborer un cadre théorique associé à des mécanismes, à des objets particuliers. Par exemple, l'électron : il fut d'abord vu comme une espèce de petite boule de billard ; puis on lui découvrit une nature ondulatoire, comme des rides de la surface de l'eau, et l'on découvrit finalement que les particules subatomiques -tels les électrons- ne sont ni des particules ni des ondes, mais des objets subatomiques qui, quand on les regarde d'une certaine façon apparaissent comme des ondes, et quand on les regarde d'une autre façon apparaissent comme des particules ; d'ailleurs, on peut les regarder d'une troisième façon elles apparaîtront alors d'une troisième façon. Surtout les électrons qui étaient des particules initialement supposées pour expliquer des phénomènes sont devenus une sorte de dossier de plus en plus le gros, parce que correspondant à des mesures de plus en plus nombreuses . On a caractérisé (quantitativement !) l' électron, ses interactions avec la matière, et notre connaissance s'est augmenté. Notre dossier a gonflé à mesure que nous découvrions les propriétés de l'électron. Ces découvertes se sont évidemment faites sur la base d'expériences, mais ces expériences ont conduit à des propositions théoriques, qui ont constitué la théorie actuelle, théorie que les sciences de la nature doivent continuer à réfuter, car on ne dira jamais assez que l'on ne peut pas démontrer des théories, puisque celles-ci sont insuffisantes ; on peut seulement chercher à les réfuter pour en trouver de meilleures, plus proches des résultats expérimentaux. Voilà ce que j'ai glané, et c'est assez clair, de sorte qu'il ne nous reste plus qu'à nous retrousser les manches soit pour mettre en œuvre les méthodes que je viens d'énoncer, soit pour en trouver d'autres, et les partager avec la communauté, car il est vrai que, au moins pour certains, le monde des sciences de la nature est un monde éblouissant, enthousiasmant, au point que nous voulons partager avec tous les bonheur de nos travaux. 

 

Comme on dit en alsacien, ans Bràtt, au travail !

vendredi 12 avril 2024

La recherche bibliographique

 
A propos de bonnes pratiques scientifique se pose immanquablement la question de la bibliographie, puisque c'est une des activités auxquelles se livrent les scientifiques. 

Je propose que nous nous étonnions de ce que, dans la description de l'activité scientifique qui commence par l'observation d'un phénomène et dont le cycle s'achève avec la réfutation des prévisions expérimentale fondée sur les théories (voir http://www.agroparistech.fr/Les-etapes-de-la-recherche-scientifique.html), il manque ce pan important de l'activité scientifique qu'est la recherche bibliographique. 

C'est d'autant plus étonnant que, dans les formations scientifiques et technologiques actuelles (et c'est un fait que le mot "science" est bien souvent détourné par la technologie, contre laquelle je n'ai rien, bien au contraire, mais qui ne se confond pas avec la science, quand même), le moindre étudiant est éduqué à commencer toujours son travail par une telle recherche. Doit-on considérer que, si l'étude bibliographique ne figure pas dans la description des étapes de la science, c'est que la description qui a été donnée est fautive ? 

Reprenons les étapes de la méthode scientifique les unes après les autres pour voir où l'étude bibliographique trouve sa place. Nous avons dit que le travail scientifique commence avec l'observation d'un phénomène. Ce qui n 'a pas été dit, c'est que nous voyons les phénomènes avec des yeux théoriques, si l'on peut dire. C'est parce que nous avons des théories, implicites ou explicites, que nous pouvons chercher à les tester, et l'on se reportera aux discussions énergiques d'il y a quelques décennies entre René Thom et Anatole Abragam, à l'Académie des sciences, par exemple, pour comprendre que les phénomènes ne sont pas toujours aussi évidents qu'on pourrait le penser.

 

 La bibliographie, dans les étapes scientifiques 

Oui la surrection d'une montagne est un phénomène évident, qui parle à tous, tout comme l'échauffement d'un conducteur traversé par des électrons, mais il y a des phénomène dont on ne s’aperçoit qu'en creux, en négatif. Par exemple, imaginons qu'on laisse tomber une bille dans un liquide peu visqueux, simple. Après quelques instant très brefs, la bille atteint une vitesse de croisière dont on peut calculer la relation avec la viscosité. Toutefois, si on laisse tomber la bille dans un liquide très visqueux, on verra que, en pratique, la relation préalablement trouvée entre vitesse et viscosité ne tient plus. Cela se comprend : le calcul fait usage de la force de Stokes, qui suppose un un écoulement laminaire, alors que est dans un liquide visqueux, cet écoulement est gêné par les parois du récipient où l'on fait l'expérience. 

On voit sur cet exemple que l'écoulement anormal est un phénomène, mais que ce phénomène dépend de connaissances a priori. Autrement dit les connaissances que nous avons (une "théorie", donc) interviennent déjà dans la première étape du travail scientifique, et c'est la raison pour laquelle la recherche bibliographique s'impose d'emblée. 

 

Il n'est pas interdit de reproduire un travail !

Ici, un commentaire, avant de passer à la suite. Parfois, il est dit que la recherche bibliographique doit éviter de refaire des travaux qui ont déjà était faits... et j'ai moi-même proposé cette idée dans des documents intitulés "Comment faire une recherche bibliographique", en stipulant que l'introduction des articles scientifiques devait comporter les étapes suivantes : - la question initialement posée - les résultats de la recherche bibliographique - la question mieux posés, à la lumière de cette recherche bibliographique - l'annonce de l'étude qui a été faite et qui est présentée dans l'article. 

Oui, la recherche bibliographique peut éviter de refaire des études qui ont été faites... mais, dans la mesure où nous ne nous limitons pas à des caractérisations, dans la mesure où nous réfutons des théories, nous pourrions très bien refaire des études qui ont déjà été faites, en y mettant une "intelligence" différente. 

C'est ainsi que, il y a plusieurs années, le mathématicien français Joseph Oesterlé a produit de belles mathématiques, en reprenant les Disquisitiones arithmeticae de Carl Friedrich Gauss, mais ce n'est là qu'un exemple, et l'histoire des sciences en montre mille ! 

Bref, mettons fin à cet oukase contre la reproduction des études expérimentales. Bien sûr, ce ne doit pas être une excuse pour ne pas faire une étude bibliographique soigneuse, mais n'évitons pas nécessairement de passer là où d'autres sont passés... afin d'y chercher autre chose, que nous avons en nous, en quelque sorte, que nous verrons avec d'autres yeux... 

 

Des études spécifiques, avec des objectifs différents 

Revenons donc à la méthode scientifique, et, plus précisément, passons maintenant à la deuxième étape : la caractérisation quantitative des phénomènes, avec la mise en oeuvre des systèmes expérimentaux, des outils d'analyse, de mesure, d'observation (quantitative, toujours quantitative !). Là encore, on perdrait souvent du temps à réinventer la poudre, à mettre au point des dispositifs expérimentaux, si l'on ignore qu'il en existe déjà, de sorte que l'étude bibliographique nous montre des possibilités... mais on voit que, enchâssant la bibliographie dans la méthode scientifique, nous lui assignons maintenant une place bien particulière, une fonction bien plus précise. 

Comme précédemment, à propos du choix de l'étude, nous pouvons être un esprit fort et penser que ce qui a été fait avant nous est nul et non avenu, mais pourquoi se priver de la possibilité de voir la paille dans l'oeil du voisin afin d'éviter de voir la poutre dans notre propre œil ? Là encore, on voit qu'une recherche bibliographique s'impose, mais ce n'est pas la même, et la présente discussion conduit à penser qu'il est peut-être bon de séparer les différentes étapes de la recherche bibliographique, avec l'hypothèse que les petites bouchées sont plus faciles à avaler que les grosses. 

La troisième étape, de réunion des caractérisations quantitatives en lois synthétiques, nécessite-t-elle une étude bibliographique particulière ? Oui, mais la question posée lors de l'étude bibliographique est alors très spécifique, et l'on voit mal comment elle aurait pu avoir lieu d'emblée. C'est donc une possibilité d'observer que la recherche bibliographique doit se faire à toutes les étapes de la recherche scientifique, mais différemment. Ici, il s'agit d'apprendre à faire des "ajustements", à chercher des lois générales à partir de donnés. La quête porte sur des méthodes qui ont leur champ propre, avec des communautés différentes de celles qui ont produit les travaux considérés précédemment. Il faut beaucoup de "culture scientifique", pour bien faire, et l'on pressent que notre bibliographie devra comporter aussi bien des livres généraux que des documents techniques très particuliers. 

Passons à la quatrième étape, d'induction théorique. Cette fois, l'éloignement par rapport à ce qui est couramment nommé recherche bibliographique est encore plus important ! Jamais, d'ailleurs, je n'ai vu considérer ce point, alors que de merveilleux esprits, tel Henri Poincaré, ont bien discuté la question. Il est amusant d'observer que nous sommes ici dans le domaine des théories de la connaissance, de l'histoire des sciences, de l'épistémologie. Manifestement, cette étape est la plus difficile, et l'on comprend que les documents qui pourraient nous aider sont d'un type bien différents des articles scientifiques les plus courants. D'ailleurs, il s'agit de méthodologie, de sorte que nous y gagnerions collectivement à regrouper ces textes, et à les faire étudier aux futurs scientifiques, ou, au moins, à les mettre à leur disposition, dans un lieu particulier (d'internet).

 La cinquième étape, de recherche de conséquences testables des théories ? Là encore, nous avons besoin de méthodologie, et, sans vouloir me débarrasser de la question, je crois que nous avons le même type de réponse que pour la quatrième étape. Mais, évidemment, les documents qui pourraient nous aider peuvent être différents.

 Puis la sixième étape, de tests expérimentaux des conséquences théoriques ? Je propose qu'il en aille comme pour les quatrième et cinquième étape.

 

 Finalement cet examen semble montrer (je suis prudent, et j'attends les retours des collègues) que des études bibliographiques s'imposent à chaque moment du travail scientifique, mais avec des spécificités qui dépendent de ces divers moments. La recherche bibliographique ne semble pas pouvoir être faite d'une traite, en début d'étude, mais, au contraire, elle s'étage spécifiquement, avec des types de documents différents. Les données factuelles doivent être distinguées des méthodes, des techniques, et, comme les petites bouchées sont plus faciles à avaler que les grosses, on a sans doute raison de ne pas se lancer dans une étude bibliographique qui durerait des semaines, sauf à bien vouloir connaître un champ que l'on décide d'aller explorer. Surtout, finalement, on voit que mettre la recherche bibliographique en préalable est une mauvaise méthode. Il vaut bien mieux mettre en premier la méthode scientifique, et insérer des études bibliographiques à l'appui de cette méthode !

jeudi 11 avril 2024

Les étapes de la recherche scientifique


Rédigeant un billet, et voulant renvoyer mes amis vers une description de la méthode scientifique (pour les sciences de la nature, ou sciences quantitatives), je m'aperçois que cette description figure dans mon livre "{Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires), quelles relations ?}" (éditions Quae/Belin), mais qu'elle ne figure pas dans ce blog. 

 


Il faut absolument réparer cela. A noter que la description que je donne a été testée devant les assemblées scientifiques les plus élevées, et notamment devant plusieurs lauréats du prix Nobel, ainsi que devant des sommités des sciences chimiques, en de très nombreuses occasions, et tout particulièrement, le 4 juillet 2015, à Strasbourg (voir [http://www.canalc2.tv/video/1347->http://www.canalc2.tv/video/1347]2). 

Comme personne ne m'a fait observer que j'étais dans l'erreur, je continue de propager ma vision des choses (fondées, quand même, sur un examen soigneux de l'histoire des sciences et de l'épistémologie). Je propose donc de considérer que la recherche scientifique se fait par les étapes suivantes, lesquelles constituent la "méthode scientifique" (pour les sciences de la nature, ou sciences quantitatives) : 

1. identification d'un phénomène 

2. quantification du phénomène 

3. réunion des données quantitatives en "lois" synthétiques 

4. par un processus d'induction, recherche des mécanismes quantitativement compatibles avec les lois identifiées, ce qui constitue une "théorie", un "modèle" 

5. recherche de conséquences de la théorie 

6. tests expérimentaux de ces conséquences, ou "prévisions théoriques", en vue d'une réfutation, qui permettra de revenir à 1, et ainsi de suite à l'infini. 

 

On ne dira jamais assez que toute théorie scientifique est fausse (disons insuffisante), et que l'on ne peut donc pas "démontrer scientifiquement", mais seulement réfuter. Autrement dit, l'activité scientifique produit des connaissances en réfutant les théories qu'elle produit. On ne dira jamais assez, d'autre part, que les sciences de la nature ne sont pas un discours comme les autres : les théories, même si elles sont insuffisantes, comme on l'a vu plus haut, sont quantitativement compatibles avec les caractérisations quantitatives des phénomènes. Les lois sont, évidemment, des façons synthétiques de donner des faits le plus juste possible, compte tenu des moyens de mesure à un moment donné, et les mécanismes proposés ne le sont pas au hasard, mais parfaitement en accord avec les caractérisations quantitatives. Et c'est ainsi que les sciences de la nature sont particulières... et merveilleuses !

mardi 9 avril 2024

Comment faire une thèse ?

 Comment faire une thèse ? Ce matin, je reçois un e-mail d'une ancienne étudiante du groupe, qui me dit s'apprêter à commencer une thèse. Je la félicite... et lui demande aussitôt si elle s'est demandée comment faire une thèse, puisque c'est là la méthode que je propose : pour chaque acte que nous faisons, ne devons-nous pas "retenir nos mains", qui ne savent pas faire si elles ne sont pas guidées par notre tête, et chercher une stratégie, une méthode, tant il est vrai que pour aller d'un point à un autre, il faut avoir choisi le chemin que l'on va emprunter avant de parcourir celui-ci ? 

Dans notre groupe de recherche, nous avons, en conséquence, une série de documents intitulés « Comment faire » : "Comment peser", "Comment mesurer une température", "Comment utiliser un appareil de résonance magnétique nucléaire", "Comment décomposer un groupe de signaux dans un spectre", etc.
Ces « Comment faire » ne se rapportent pas seulement à des gestes techniques, mais aussi à des comportements : "Comment présenter un poster dans un congrès", "Comment se comporter dans un laboratoire", etc. Ici, la question est : "Comment faire une thèse ?"... et nous avons évidemment un document qui propose des réponses. 

L'objectif est clair : notre jeune amie va passer trois ans dans un laboratoire pour faire un travail. Et il faut donc qu'elle sache comment le faire. Je pourrais bien sûr lui donner immédiatement notre document, mais n'est-il pas plus formateur de lui poser la question : Comment faire une thèse ? N'est-il pas mieux qu'elle réfléchisse, par elle-même, avant de proposer sa réponse, qui pourra ensuite être confrontée à celle que nous avons trouvée ?

Évidemment, mes billets précédents ont largement expliqué que, pour répondre à cette question comme à toutes les autres, il aura fallu définir l'objectif, c'est-à-dire avoir bien compris ce qu'est une thèse, car c'est seulement en connaissance de l'objectif que l'on pourra déterminer le chemin qui y mène... mais je crois que je dois la laisser réfléchir, sans quoi je risque de lui voler le bonheur de trouver la réponse à la question qu'elle se (me) pose, et cela n'est pas bon. Bref, il faut que j'évite de répondre à la question à sa place, et que je me limite à donner quelques indications. 

 

Des indications utiles

Tout d'abord, il faut bien expliquer que, selon la loi, selon les règles internationales, dans le cadre d'accords interuniversitaires, les doctorants ne sont plus des étudiants. C'est la loi, et toute équipe qui n'appliquerait pas la loi serait hors la loi, donc passible de poursuites. 

Cette première observation s'assortit de conséquences, et la première est que, l'étudiant étant un jeune chercheur, il a les droits et les devoirs des chercheurs, même si, pour des raisons matérielles, on leur octroie une carte d'étudiant. Droits : lesquels ? Devoirs : lesquels ? Tout cela est bien détaillé sur les sites du ministère de la recherche ou des écoles doctorales, par exemple. 

D'autre part, les réseaux sociaux et divers forums sont l'occasion de voir des doctorants se plaindre des conditions terribles dans lesquelles ils font leur thèse. J'ai même vu un livre sur ce sujet, dans une librairie. Il est de bon ton, pour ces doctorants, de dire que les "encadrants" (responsable d'équipe, directeur de thèse, etc.) ont des comportements désagréables, qu'ils n'ont pas les conditions nécessaires à l'accomplissement de leurs travaux, qu'ils sont stressés par le manque de temps, le salaire insuffisant, et ainsi de suite.
J'invite ces doctorants-la à se référer aux règles qui figurent sur le site du ministère de la recherche, lequel a bien encadré l'exercice de préparation du doctorat. 

Mais je les invite surtout à cesser de se plaindre (une plainte qui n'est pas suivi d'effet, c'est une sorte d'impolitesse) et à prendre activement des décisions immédiates : soit changer d'équipe, si la leur n'est pas aussi estimable qu'ils l'auraient voulu, soit ouvrir une discussion qui conduira à suivre les règles nationales, soit arrêter la thèse, soit... ce qu'ils auront décidé en fonction des circonstances particulières où ils se trouvent. Au fond, ne retrouve-t-on pas là le même comportement que celui des "travailleurs" qui se plaignent des patrons, ou des étudiants qui se plaignent des enseignants ? Oui, nous ne sommes pas toujours entourés de personnes absolument merveilleuses, mais n'est-ce pas une forme d'intelligence que de voir le verre plus qu'à moitié plein ? 

En tout cas, dans notre groupe de recherche, c'est une règle absolue... car je maintiens que l'optimisme s'apprend, que cet apprentissage demande de l'effort, du travail, du travail quotidien … dont on est immensément récompensé. Et puis, après tout, n'y a-t-il pas mille laboratoires avec des gens merveilleux, où ceux qui sont malheureux pourraient aller ? Pour terminer sur ce sujet de la "lutte des classes", signalons aussi qu'il y a beaucoup d'équipes très soudées, amicales, où la science et la technologie (puisque le mot "thèse" s'applique maintenant aux deux activités) s'exerce de façon joviale, enthousiasmante ! 

 

Autonomie ! 

Sans voler à ma jeune amie le plaisir de comprendre ce qu'est une thèse, je crois important de dire aux doctorants des sciences de la nature comment se passent les thèses en mathématiques : au tout début du travail, le doctorant rencontre son directeur de thèse, et ils discutent du sujet qui sera exploré ; le directeur fait des propositions, présente des possibilités, signale des questions ouvertes, des pistes qui pourraient être suivies... mais le doctorant n'est pas un étudiant ; c'est un jeune mathématicien, qui part ensuite, pour trois ans, faire ses calculs, sa recherche, et qui revient, au terme de ces trois ans (c'est la loi, actuellement), avec le travail qu'il a fait, et qu'il a mis en forme comme on réunit des fleurs en bouquet. 

Bien sûr, en cours de route, le doctorant peut avoir envie de discuter avec son directeur de thèse, comme on discuterait avec un collègue, mais il est parfaitement autonome, et c'est lui qui doit prendre l'initiative des rencontres avec son directeur de thèse. Cette méthode a son intérêt même en dehors des mathématiques, car un doctorant devient rapidement (ou doit devenir rapidement) l'unique spécialiste mondial d'un sujet, de sorte que le directeur de thèse n'est plus un maître qui disposerait des réponses aux questions que l'on se pose. 

"Autonomie" est le mot essentiel pour les thèses, et les doctorants ne sont plus des étudiants en stage ; ils ne sont pas des techniciens téléguidés par les directeurs de thèse... Un doctorant qui se laisserait aller à fonctionner ainsi devrait endosser la responsabilité de cet état de fait... et il ne mériterait pas le titre de docteur. Un autre point important : je sais d'expérience que certains doctorants ont une sorte de passage à vide à la fin de la première année, cette année qui consiste à faire la recherche bibliographique initiale, à mettre en place les méthodes expérimentales, à tester les conditions d'expérimentation qui seront utilisées, à poser des questions scientifiques (qui seront explorées lors de la deuxième année de thèse, la troisième année étant consacrée à la rédaction des publications et de la thèse). 

Pourquoi ce passage à vide et comment l'éviter ? D'abord la question du pourquoi. Parce que le poulain lâché dans le pré a gambadé çà et là, et qu'il a pris du retard ? Autrement dit, parce que le doctorant commençant était resté sur un rythme d'étudiant, sans comprendre que trois ans passent très vite ? Parce que, la recherche bibliographique faite, c'est le moment difficile d'être responsable de son questionnement, et que cela est bien plus difficile que ce que le doctorant a fait jusque alors ? Parce que le doctorant commence à s'apercevoir d'insuffisances scientifiques accumulées au cours de ses études, alors que le maçon est au pied du mur ? Je ne le sais pas, mais il est certain que trois ans passent vite, et que nos jeunes amis ne sont pas toujours assez conscients du temps qui passe, surtout quand ils sont en situation de responsabilité (parce que le directeur de thèse aura joué le véritable jeu de directeur de thèse, et non pas de patron qui fait suivre au doctorant une voie qui est la sienne propre, et n'aura pas laissé le doctorant suivre son propre chemin). 

 

Donnons-nous la possibilité du succès

Raison de plus pour bien poser aux étudiants, avant de commencer une thèse, des questions auxquelles ils devront répondre, des questions telles que celles que j'ai évoquées ici, à savoir comment faire une thèse, par exemple. Ne devrions-nous pas tenir des réunions préalables entre les différentes parties d'une thèse (le doctorant, l'équipe encadrante, le directeur de thèse, l'école doctorale), avant engagement ? Ne devrions-nous pas poser ces questions, en espérant que certains étudiants décident finalement de ne pas se lancer, à partir du moment où ils auraient connaissance de faits qu'ils ignoraient jusqu'alors ? 

Là encore, comme pour l'apprentissage (ce que d'autres nomment enseignement), je crois aux vertus d'un contrat, un contrat très explicite, un contrat discuté point par point, en détail, un contrat dont on se sera assuré que toutes les parties comprennent bien les termes. Je sais qu'il y a des étudiants qui se lancent en thèse, seulement en vue d'avoir une thèse, une sorte de diplôme supplémentaire, parce que cela se fait, parce que les oisillons ont peur de sortir du nid, d'aller dans l'industrie, mais ceux-là n'ont pas assez réfléchi, et je crois qu'ils seront déçus, mais il faut leur dire qu'il ne seront pas déçus du systèmes, mais d'eux-mêmes, ce qui est sans doute la pire des choses. 

Il faut donc agir très positivement pour éviter les déceptions tardives, et le temps perdu par tous. Il faut que les étudiants apprennent à ne pas se lancer dans une thèse s'il s'aperçoivent que le contrat proposé ne leur convient pas ; il faut que les équipes encadrantes n'acceptent pas en thèse les étudiants qui n'auraient pas accepté le contrat en parfaite connaissance de cause. Il faut que les équipes de recherche refusent absolument la pression des systèmes universitaires à accueillir beaucoup d'étudiants en thèse, car il n'est pas vrai que tous les étudiants puissent faire de bon doctorants. Il faut rappeler que la thèse n'est pas une sorte de master prolongé, mais, au contraire, une étape essentielle dont tout le monde n'est pas capable, non pas qu'on n'en est pas capable en théorie, car un travail acharné vient à bout de tout, mais dont on n'est pas capable en pratique, parce que tous n'ont pas l'étude comme objectif principal, et que cela se saurait si tous pouvaient faire de la (bonne) recherche scientifique. 

 

Et reste maintenant la question posée à notre jeune amie : qu'est-ce qu'une thèse ? Cette question s'assortira ensuite de la question : comment faire (bien) une thèse ?

Donner du goût, assaisonner, et plus encore

En matière de cuisine, on a oublié qu'il ne s'agit pas de délivrer les ingrédients vaguement transformés par un traitement thermique (une "cuisson") ; non, il s'agit plutôt de le leur donner du goût. Lequel ? Voilà toute la question. 

 

Commençons en signalant  quelques exemples notoires. Par exemple, les professionnels qui cuisent des marrons ont appris à ajouter du fenouil... pour donner le goût de marrons. Quand ils préparent des fraises, ils ajoutent jus de citron, sucre, eau de fleur d'oranger.... pour donner le goût de fraises. Quand ils cuisent des   courgettes, ils leur ajoutent un peu de menthe. 

Et ainsi de suite : il est très insuffisant de cuire un ingrédient et de croire qu'il aura le goût de ce qu'il est. Cette phrase doit nous faire penser à ce critique gastronomique nommé Maurice Sailland, qui signait  Curnonsky, et qui prétendait que les choses  auraient été bonnes  quand elles auraient eu  le goût de ce qu'elles sont. 

Cela est erroné, parce qu'il n'y a pas LE goût du poulet rôti, LE goût du marron, LE goût d'un mets, mais des possibilités innombrables, qui sont au choix des artistes culinaires. 

En tout cas, l'idée de Curnonsky dépasse l'idée précédente que je viens d'évoquer à savoir qu'il faut donner du goût aux ingrédients pour qu'ils aient le goût de ce qu'ils sont ou de ce que nous voulons qu'ils aient. 

Prenons l'exemple d'un sabayon aux pommes. Pour donner le goût de la pomme, il faudra les pommes dans du beurre, en leur ajoutant du gingembre, du poivre, une pincée de sel, du jus de citron, du sucre... 

Un poulet rôti ? Immédiatement, nous devons nous demander, de même, quoi  ajouter au poulet pour qu'il ait un bon bout de poulet rôti. Cela passe évidemment par le poivre, le sel, mais pourquoi pas le thym, le romarin, le citron, etc. 

Cela nous conduit à évoquer la question des assaisonnement, si importantes en cuisine. J'ai nombre d'amis cuisiniers qui reprochent à leurs jeunes collègues de ne pas goûter assez, de ne pas rectifier l'assaisonnement. 

Mais l'assaisonnement dépasse largement la question du sel ou du poivre :  il y a toute la palette possible que nous pouvons utiliser  pour donner aux ingrédients un goût qui les soutient, voire qu'il les emmène dans des directions différentes. 

Mon ami Pierre Gagnaire sait bien cela, lui qui travaille à l'infini le moindre de ses produits et non seulement pour s'arrêter à l'assaisonnement, mais  pour le dépasser  et arriver à des œuvres où les ingrédients ne sont plus seulement considérés isolément, mais où ce sont des instruments dans un orchestre complet.

A quoi sert l'Académie d'agriculture de France ?

 
A quoi l'Académie d'agriculture de France sert-elle ? A mille choses, mais, notamment, à diffuser de l'information scientifique, technologique ou technique à celles et ceux qui en ont besoin ! 


Il y a plusieurs années, les clubs ECRIN permettaient notamment de diffuser de l'information scientifique et technique à de petites sociétés qui n'avaient pas les moyens de se payer des laboratoires de recherche ou mise au point de méthodes. Notamment, avec un groupe d'amis, nous animions un tel groupe pour ce qui concerne les composés aromatisants. 

Progressivement, nous avions appris à organiser des journées de conférences, où  des scientifiques et des industriels de grosses sociétés venaient faire état de travaux avancés et les expliquer à leurs collègues de ces petites sociétés  qui sont réparties sur le territoire national et qui produisent, embauchent, animent. 

Nous avions le sentiment d'être véritablement utiles, et je viens de comprendre que l'Académie d'agriculture, qui n'a plus la mission confiée à l'INRAE, de développement économique, ni celle qui est confié au CGAAER pour conseiller le ministre, joue ce même  rôle de diffusion de la connaissance scientifique, technologique et technique par ses travaux, et, notamment, par ses séances publiques du mercredi après midi : https://www.academie-agriculture.fr/actualites/academie/seances/seances-hebdomadaires-aaf?direct=

De surcroît, les Notes académiques de l'Académie d'agriculture de France ( https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques ) ont tout leur sens : il s'agit un journal scientifique, technologique et technique, au  modèle diamant (gratuit pour les auteurs comme pour les lecteurs). Il s'agit toujours du même projet et l'on comprend que ce journal trouve toute sa place, notamment pour publier les textes des interventions des séances publiques du mercredi, et plus encore. 

samedi 6 avril 2024

Professer ou enseigner ?

J'ai longtemps hésité à propos d'enseignement et de professorat, notamment parce que j'avais cette phrase de Confucius qui se mettait au beau milieu de mes réflexions : enseigner ce n'est pas emplir  des cruches, mais allumer des brasiers. 

Encombré par cet argument d'autorité (toujours résister !), j'ai tourné autour du...  pot j'ai commencé à penser que l'enseignement était une chose bien impossible, qu' il n'y avait que l'apprentissage qui était à la portée des étudiants. 

D'ailleurs je n'aime guère le mot enseignant, qui est très connoté en plus d'être inélégant du point de vue de la langue française. 

Mais il me semblait que dans cette enseignement, il y avait une volonté d'emplir des cruches, quoi qu'il arrive, et c'est la raison pour laquelle j'ai préféré le mot professeur, qui a une étymologie qui me convient bien : parler devant. Le professeur  parle devant des étudiants et ces derniers peuvent ou non faire leur miel de ce que l'on dit afin d'étudier à leur guise.
 

Puis j'ai mieux compris que l'étymologie d'enseigner était  de montrer une direction. De sorte que l'enseignement que je croyais impossible l'est en réalité : il est possible de faire des signes, d'indiquer des directions. 

Mais j'observe quand même qu'il y a une sorte d'impérativité à ce signe, une sorte d'impérétivité à pousser les étudiants dans la direction qu'on montre, alors qu'il y a plus de convivialité, d'égalité, moins de lutte des classes, à simplement professer.
Bien sûr, je ne méconnais pas l'efficacité de la rhétorique mais quand même, il ne peut s'agir que de conviction d'êtres intelligents qui jugent ce qu'on leur dit   et qui en prennent ce qu'ils veulent.
 

Régulièrement, des collègues à qui je présente,ces discussions, ces soliloques, me répondent en substance que les étudiants sont bien jeunes pour prendre des décisions par eux-mêmes et qu'il y a lieu de les diriger un peu, sans quoi il feraient n'importe quoi.
Je m'insurge absolument contre cette idée et je crois toujours préférable de faire confiance. 

Au fond, ceux des étudiants qui veulent ne rien faire ne feront jamais rien, quelles que soient les organisations, les coercitions éventuelles, et c'est aux autres que je pense, ceux qui ont envie d'apprendre. 

Pour cette bonne pâte,  ils apprendront dans les deux cas, que l'on indique des directions ou que l'on professe. Mais alors, puisqu'on peut leur faire confiance, faisons leur vraiment confiance et professons. Dans nos déclarations face aux étudiants, bien sûr nous pourrons en quelque sorte indiquer les directions, mais il n'y aura pas d'impérativité et plutôt un choix. 

D'ailleurs, il y aura lieu également de répondre à des questions :  il me semble que c'est là toujours le mieux puisque cela signifie que les étudiants ont fait le travail qui les conduit à questionner. 

Évidemment, à nous de répondre par le meilleur pour les aider au mieux.

mardi 2 avril 2024

Le 31 mai, à Colmar : une "visite" de l'Académie d'agriculture de France à l'IUT de Colmar (Université de Haute Alsace) et au Centre INRAE de Colmar

 Le vendredi 31 mai 2024,  l'Académie d'agriculture de France ira en visite à Colmar : une série de conférences sur le thème la vigne et le vin demain seront donnés par Didier Merdinoglu (INRAE Colmar), Marc André Selosse (Muséum national d'histoire naturelle), Jean-Louis Schlienger (Université de Strasbourg et Académie d'Alsace) et Jean-Louis Vézien (ancien directeur du CIVA). 

Puis, après une dégustation des vins Jean-Baptiste Adam, le Bibliothécaire de l'Académie d'agriculture de France, André Fougeroux, présentera les extraordinaires planches ampélographiques de Pierre Joseph Redouté.

 L'après-midi, sera consacré à la visite du centre INRAE de Colmar, célèbre pour ses travaux sur la vigne le vin. Cette visite est organisée par Frédérique Pelsy, ancienne présidente du Centre INRAE de Colmar.

Puis à 18h, au Koifus, l'Académie d'Alsace, avec son président Bernard Reumaux,  accueillera Marion Guillou, présidente de l'Académie d'agriculture de France, et ancienne présidente directrice générale de l'INRAE, pour une conférence sur l'influence des changements climatiques sur la vigne et le vin.  Cette conférence sera suivie d'une autre conférence, par Jean-Robert Pitte,  président de la Conférence nationale des académies, et qui présidera le  colloque inter-académique du lendemain (organisé par l'Académie d'Alsace).

mardi 26 mars 2024

Comment faire plus intelligemment ?

 Comment faire plus intelligent que ce que nous faisons déjà ? Nous sommes bien d'accord qu'il y a le contenu, d'une part, et la communication de l'autre, mais je vais partir de soutenances orales d'étudiant pour analyser cette question à laquelle je n'ai pas de réponse : comment faire pour être plus intelligent que nous sommes ? 

 

Je commence par comparer les présentations récentes de deux étudiants : la première était conventionnelle, et tout le monde comprendra si je dis qu'elle était planplan, morne, sans intérêt et...  sans intelligence avons-nous tous conclu. Pour la seconde, en revanche, l'étudiant nous tirait vers des informations que nous n'avions pas et nous étions en position d'apprendre par conséquent. 

Je ne crois pas qu'il y ait une différence de QI entre ces deux étudiants, mais il est certain que le second avait mis en œuvre une méthode qui paraissait plus intelligente  : plus intelligente parce qu'elle était plus efficace dans cet acte de communication qu'était la soutenance. 

Dans ce cas précis, la mise en œuvre d'une méthode plus efficace est une manifestation d'intelligence. Je ne dis pas que le premier étudiant n'aurait pas pu arriver à ce résultat mais il ne l'a pas fait : sa négligence, en quelque sorte, l'a conduit à apparaître moins intelligent, à  faire moins intelligemment. Il y a donc, dans l'intelligence, une projection vers le futur, une imagination, une recherche... Oui je le répète il me semble que une des composantes de l'intelligence puisse être la stratégie d'anticipation.

Passons maintenant à Sherlock Holmes : bien sûr, c'est un personnage fictif, mais n'était-il pas  remarquablement intelligent ? Comme l'étaient les trois princes du conte de Horace Walpole à propos du royaume de Sérendip ? Ou le Dupin de la Lettre volée d'Edgar Poe ?  Pour les princes de Sérendip, ils avaient "deviné" qu'était passé avant eux, sur la route, un chameau  boiteux qui portait une femme enceinte,  ainsi que du miel à gauche et du lait à droite. Ils avaient vu cela à la présence de fourmis d'un côté de la route, et du fait qu'ils avaient trouvé une petite chaussure qui sentait l'urine avec l'empreinte de mains, celles de la femme qui s'était appuyé sur le sol pour se relever. Quant au chameau qui boitait, il suffisait de regarder les empreintes de pas de l'animal pour en être convaincu.
Le sultan avait voulu retenir ces princes très intelligents avec lui,  et le récit continue de signaler des situations où les trois princes manifestaient leur intelligence. 

Intelligence ? Dans le cas du conte -et je suis bien d'accord qu'il s'agit d'un conte- il s'agit moins de capacités que de la mise en œuvre de certaines capacités : au lieu de passer, indifférents, dans le monde, les trois princes observent, raisonnent, mettent en œuvre ce qu'ils ont entre les deux oreilles. 

Là encore, comme pour  l'étudiant efficace précédent, il s'agit de mettre en œuvre des capacités que nous avons tous mais que nous n'exerçons pas suffisamment. 

Il s'agira donc, si nous voulons gagner en intelligence, de ne pas nous contenter de laisser le temps filer, mais de nous arrêter chaque seconde sur les aspects du monde qui nous entoure. 

Et pour la science, il y a cette phrase selon laquelle elle sourit aux esprits préparés : il y a dans les laboratoires une foule d'observation que nous pourrions faire et que nous ne faisons pas, et qui sont autant de fil tendus vers des découvertes que nous sommes invités à faire. 

La première leçon de tout cela, c'est que, lors de nos expérimentations, nous devons absolument tout bien observer, tout consigner, tout photographier, tout enregistrer...  et l'on voit que nous  pouvons maintenant dépasser la question de l'intelligence pour arriver à celle de l'acuité, de notre présence dans le monde.

mardi 19 mars 2024

La cuisson des légumes et des fruits

 
Nous cuisons de la choucroute? des endives ? Comment nous y prendre ? 

 

Quand on regarde en ligne des recettes de cuisine, on reçoit des protocoles qui nous disent comment faire mais qui ne nous disent pas pourquoi faire comme ils le proposent. 

Et de fait, leurs indications sont  souvent illégitimes, ou prétentieuses, voire fausses. 

Je crois qu'il est  préférable de réfléchir un peu, et de commencer les recettes par une réflexion sur les objectifs et les moyens de les atteindre. 

Par exemple, la cuisson d'endives (pour des endives braisées au jambon par exemple) :  c'est un légume de fort diamètre, ce qui signifie qu'il faudra un temps notable pour que la chaleur parvienne jusqu'au centre et qu'elle ait quelque chance d'attendrir le tissu végétal.
Car c'est bien là l'objectif : dans la recette que nous visons, on ne mange pas une salade d'endives mais bien plutôt des endives braisées, cuites, attendries. 

Inversement, avec de la choucroute, le chou est déjà divisé en petits filaments, de sorte que cette fois, l'objectif est moins d'atteindre le cœur du tissu végétal que de l'attendrir. 

Et la comparaison de ces deux cuissons montre qu'il y a deux phénomènes essentiels dont il faut tenir compte très généralement pour la cuisson de légumes : 

- faire augmenter la température jusqu'au coeur du tissu, d'une part

-  et assurer son attendrissement d'autre part.


Pour le premier ; les cuissons par conduction sont lentes parce que les tissus végétaux sont faits essentiellement d'eau, qui n'est pas un bon conducteur de la chaleur. Mais on peut imaginer évidemment d'autres modes de cuisson où la chaleur ne sera pas communiquée par conduction, telle la cuisson dans un four à micro-ondes, où l'énergie est déposée dans tout l'ingrédient. 


D'autre part, il y a l'amollissement des tissus végétaux, et cela correspond cette fois à une réaction qui s'appelle beta élimination des pectines : car les tissus végétaux sont faits de cellules (de petits sacs emplis essentiellement d'eau), jointoyés par une sorte de ciment, la paroi cellulaire, qui est faite de sorte de pylônes indestructibles, les molécules de cellulose, réunis par des "câbles", à savoir les molécules de pectine. 

La dégradation par la chaleur des molécules de pectine, qui permettra ensuite la séparation des cellules, est une réaction chimique lente, et c'est la raison pour laquelle, si même la chaleur arrive rapidement dans la choucroute, il faut un certain temps de cuisson pour que cette dégradation de la paroi cellulaire ait lieu.

Combien de temps faudra-t-il ? La réponse dépend à la fois du type de tissu cellulaire et de notre goût. Il y a des tissus plus durs que d'autres, pour lesquelles une cuisson doit être prolongée (comparons du coing, d'une part, et de tendres petits pois, d'autre part) et il y a notre goût qui veut des légumes plus ou moins tendres.

lundi 18 mars 2024

De la délicatesse des liaisons

Les sauces ne sont pas des jus, et elles sont plus "fluides" que des purées. Il s'agit de liquides qui ont une certaine "épaisseur", obtenue par une "liaison". 

Et il y a des liaisons variées : 

- à l'aide de farine ou d'amidon, comme dans les veloutés ;

- à l'aide d'œuf, comme dans les hollandaises, les béarnaises ou les crèmes anglaises ; 

- à l'aide de sang comme dans les civet ; 

- par émulsion comme dans les mayonnaise ; 

- par dispersion de particules solides, ce qui se nomme des suspensions, comme dans les purées étendues ou les velours (avec la carotte) et ainsi de suite.

Mais beaucoup de ces systèmes sont opaques ou translucides,  pas transparent,  et il y a des vertus à napper les pièces de l'assiette par une belle sauce limpide et transparente, ce qu'on n'obtiendra pas avec les systèmes précédents, même en passant un velouté au chinois. 

 

Comment nous y prendre ? 

 

Une clé est la dissolution de gélatine ou de molécules analogues dans un liquide clair. Partons d'un jus clairs, limpoides, réduisons-le et ajoutons lui beaucoup de gélatine : alors la sauce prend de l'épaisseur et garde une transparence parfaite. 

Évidemment, une telle sauce figera si sa température est inférieure à environ 30 degrés mais en tout cas, pour une sauce chaude , il n'y a pas de problème et on obtiendra un résultat tout à fait merveilleux.

mardi 5 mars 2024

Des enjeux, dites-vous ? Mais savez-vous bien ce que vous dites ?

Hier, dans des discussions de stratégie scientifique, mes interlocuteurs utilisaient le mot "enjeu" à toutes les sauces, et quand il ne s'agissait pas d'enjeux, il y avait des "défis" et des "challenges". 

J'ai eu la curiosité -malsaine, asociale, tout ce que vous voudrez- d'aller regarder dans un dictionnaire pour comprendre ce que mes amis disaient... et que je ne comprenais ... pas moins que les autres. 


Et voici :  

"Enjeu

Ce que l'on risque dans un jeu et qui doit, à la fin de la partie, revenir au gagnant.  

Ce que l'on peut gagner ou perdre dans n'importe quelle entreprise."

 Manifestement, la transition alimentaire qui semble s'imposer aujourd'hui ne relève pas de la première définition. Et la seconde définition non plus ne s'applique pas... puisque ce serait précisément la transition alimentaire qui serait l'entreprisse, et pas ce que l'on peut gagner ou perdre à cette transition. 

Donc mes amis disaient n'importe quoi ! 


Défi, maintenant ? 

"Action de provoquer quelqu’un à une lutte, à une compétition, à un jeu.

 Le fait de tenir tête à quelqu’un, de s’opposer à son pouvoir, de le braver. "

 Là encore, la transition alimentaire n'est pas l'action de provoquer quelqu'un, ni de tenir tête à quelqu'un. 

 

 

Je passe sur "challenge", qui est un anglicisme pour "défi", et je dois hélas conclure que mes amis disaient n'importe quoi. J'espère quand même qu'ils se comprenaient eux-mêmes ! 

dimanche 3 mars 2024

Quelques annonces

Tout récemment, des publications : 


1. L'article que je consacre à la confection de "filaments" végétaux, pour des reproductions de viande (les fibres musculaires). C'est dans la revue Pour la Science, et accessible ici : https://www.pourlascience.fr/sr/science-gastronomie/steaks-vegetaux-une-consistance-sur-le-fil-26151.php 

2. Des billets terminologiques, sur le site des Nouvelles gastronomiques : 

Hervé This, Les niocs, ce sont presque des gnocchis, Nouvelles Gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/les-niocs-ce-sont-presque-des-gnocchis/, 12 février 2024.

Hervé This, Rissoler, cela vient des rissoles, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/rissoler-cela-vient-des-rissoles/, 28 février 2024.

 

3. Le compte rendu de notre dernier séminaire : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires/seminaires, avec notamment les résultats des expériences sur le massage du chocolat

 

4. Des changements dans le Glossaire des métiers du goût : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire 

Jamais de mesure sans estimation de l'incertitude.

Dans la catégorie des bonnes pratiques en science, il y a des données élémentaires, et l'une d'entre elles est qu'une mesure doit toujours être assortie d'une estimation de sa qualité. 

 

Pour expliquer la chose, je propose de considérer l'exemple d'une balance de précision, que l'on utilise pour peser un objet, par exemple un principe actif pour la réalisation d'un médicament. Dans un tel cas, on comprend qu'il est hors de question de se tromper sur la mesure, car ces produits sont extraordinairement actifs, de sorte que la vie des patients en dépend. Nous avons donc à peser correctement ce principe actif, et voilà pourquoi nous utilisons une balance de précision. Évidemment cette balance aura été contrôlée, car il serait dramatique d'utiliser une balance fausse. Contrôlée ? Cela signifie qu'un contrôleur sera venu avec un étalon, et qu'il aura comparé la masse connue de l'étalon avec la masse affichée par la balance. Cela se pratique en général une fois par an, car ces contrôles sont coûteux. 

De sorte que, puisque l'intervalle entre deux contrôles est très long et qu'il peut se passer mille choses pendant un an (la foudre qui dérègle la balance, un choc qui la fausse...), on aura intérêt à contrôler soi-même ses balances à intervalles bien plus cours (un jour, une semaine au maximum), notamment à l'aide d'étalons secondaires, que l'on aura préparé la façon suivante : on prend un objet inusable, par exemple un bout de métal ou de verre que l'on conserve précieusement dans un bocal, sur un coton ou sur un papier afin qu'il ne puisse pas s’abîmer, et, et on le confronte à l'étalon primaire, le jour où le technicien contrôleur vient contrôler les balances. Sur la boîte qui contiendra cet étalon secondaire, on note la masse déterminée, et chaque matin ou chaque semaine, on sort l'étalon secondaire, que l'on conserve à côté de la balance, et on le pèse, afin de s'assurer que la balance donne une valeur juste. Soit donc une balance dont on connaît la fiabilité. On peut maintenant peser le principe actif. Je n'indique pas ici les bonnes pratique de la pesée... mais je signale qu'elles existent, et que peser ne se résume pas à simplement peser. Bref, on place l'objet à peser sur la balance et l'on obtient une valeur. Le problème des balances de précision, c'est qu'elles sont ... des balances de précision, à savoir des instruments extrêmement sensibles à leur environnement. Il y a les courants d'air d'inévitables, il y a le bruit électrique dans les circuits électroniques de la balance quand il s'agit d'une balance électronique, il y a les vibrations... Bref, il y a mille raisons d'être certain que la valeur donnée par la balance sera inexacte, et cela est une donnée du monde, inévitable. D'ailleurs, la balance affiche un certain nombre de chiffres significatifs, et comme la valeur exacte que l'on cherche n'a aucune raison de tomber exactement sur un des barreaux de l'échelle (en mathématiques, on dirait que la probabilité que cela survienne est nulle), on comprend que, au mieux, la valeur affichée ne peut pas être connue avec une précision qui soit meilleure que l'écart entre deux indications (graduations) de la balance. Puisqu'il est inévitable que la valeur mesurée soit imprécise, la question est de savoir quelle est cette imprécision. Imaginons que l'on pèse trois fois le même objet sur la même balance et que l'on obtienne trois fois la même valeur. Alors on pourra considérer que l'écart entre les graduations de la balance est une estimation de l'incertitude que l'on a sur la valeur affichée. Mais avec les balances de précision, il en va généralement autrement, à savoir que trois mesures successives donnent trois valeurs légèrement différentes, auquel cas on calcule un écart type, c'est-à-dire une estimation de la répartition des valeurs que peut donner la balance. Mais cela est une autre histoire qu'il faudra raconter une autre fois. Revenons donc à l'essence de la question : quand nous pesons un objet, nous devons donner une valeur et une estimation de la précision avec laquelle on connaît cettte valeur. Cette règle est absolument générale, en sciences de la nature. 

Pour toute expérience, pour toute mesure, nous devons afficher un résultat avec une estimation de sa qualité. Car, en réalité, on ne fait que très rarement des mesures pour des mesures, et l'on cherche surtout à comparer le résultat d'une mesure à un résultat d'une autre mesure ou bien à une valeur de référence. Par exemple, si l'on mesure la température dans un four, la mesure de la température sera généralement comparée à la valeur voulue de la température, ou à la température de consigne. La question très générale est donc de comparer. Commençons par le plus simple, c'est-à-dire la comparaison d'un résultat de mesure avec une valeur fixe. Par exemple, quand on fabrique des yaourt, si l'on affiche sur le pot une masse de 100 grammes, il est admis que la masse d'un yaourt particulier ne soit pas exactement égale à 100 grammes, mais qu'elle en diffère moins qu'une certaine quantité. Là, la question est simple, puisque l'écart doit être inférieur à la tolérance. Simple... en apparence, puisque la valeur mesurée n'est pas exactement connue ! Supposons que l'on ait mesuré 95 grammes avec une incertitude de 5 grammes. La masse exacte du yaourt pourrait être de 100 ou de 90 grammes. Si la tolérance est de 5 gramme, la masse de 100 grammes conviendrait, mais la masse de 90 grammes serait intolérable. 

Maintenant, si nous voulons savoir si deux objets ont la même masse, on sera conduit à peser chacun des objets et à obtenir deux valeurs, deux résultats de mesure assortis chacun d'une incertitude, et voilà pourquoi on enseigne dans les Grandes Ecoles d'ingénieurs et dans les université les calculs statistiques, qui permettent d'estimer si deux mesures sont ou non significativement différentes. Je ne vais pas faire dans un billet de blog la théorie de cette affaire, mais j'espère avoir indiqué correctement pourquoi, finalement, une mesure sans une estimation de l'incertitude sur cette mesure ne vaut rien. En particulier pour la comparaison de deux mesures, des statistiques nécessitent l'estimation de cette incertitude, laquelle donne une indication de la répartition des mesures que l'on pourrait faire d'un objet. Dans la vraie vie, dire que deux grandeurs sont différentes sous-entend toujours « significativement ». 

J'invite en conséquence tous les étudiants à se forger une espère de radar intellectuel qui les conduira à sursauter quand ils verront une valeur sans estimation de l'incertitude avec laquelle cette valeur est connue. Certes, parfois, dans des tables, dans des livres, dans des publications, on verra des données sans incertitudes. Si ces livres sont de bonne qualité, c'est que cette incertitude est exprimée par les chiffres qui sont affichés, et qui doivent donc tous être "significatifs". Un bon enseignement des sciences de la nature commence donc par une discussion de cette question : que sont des chiffres significatifs ? Que sont les règles d'affichage des données ? 

Ces règles ne sont pas absolument intuitives, et elle doivent donc être apprises... et retenues pendant toute la scolarité… et après ! Rien de tout cela n'est difficile, mais cela demande un peu de soin, d'attention, et un entraînement progressif qui conduit à bien internaliser des réflexes, en vue de bonnes pratiques scientifiques ou technologiques.

samedi 2 mars 2024

Dans la famille « les bonnes pratiques en sciences » je voudrais « les ajustements ».

 
Supposons que l'on ait obtenu une série de résultats de mesure. Il arrive fréquemment, en sciences de la nature, que l'on cherche à voir comment cette série varie. 

Un exemple ? On cherche à connaître la quantité d'eau dans une viande : on met la viande dans une étuve, et l'on pèse à différents temps bien choisis, après l'introduction initiale dans l'étuve, en vue de voir quand la masse ne bouge plus.
Ou bien, on mesure le diamètre d'un grand accélérateur de particules, et l'on voit une variation périodique, due aux marées terrestres, ce qui peut conduire à des modifications des collisions de particules. 

Bref, il est quasi permanent, en sciences de la nature de faire des séries de mesures et de chercher comment les résultats varient. Ce que l'on obtient, ce sont des valeurs, des résultats de mesure, et l'on est habilité à présenter ces valeurs sur un graphique où le numéro ordre, par exemple, est indiqué en abscisses, et les valeurs mesurées en ordonnées. Par exemple, on pourra graduer les abscisses en secondes, et afficher les masses de viande en cours de séchage. 

Comme on se souvient qu'un résultat de mesure ne vaut rien sans une estimation de l'incertitude avec laquelle le résultat est connu, on sera donc habilité -je devrais même dire que l'on aura l'obligation- d'assortir chaque point correspondant à une mesure d'une petite croix : la barre verticale de cette croix aura la taille de l'incertitude de mesure, et la barre latérale montrera l'incertitude sur le temps auquel la mesure a été faite, par exemple. 

L’expérience ne nous donne que cela, et il serait donc, en quelque sorte, malhonnête d'afficher plus que cela. Parfois, les points de mesure, avec les croix évoquées, sont petits, et pas visibles, de sorte que l'on voudrait les faire apparaître mieux. C'est louable : on se préoccupe du confort visuel de nos interlocuteurs. 

Comment faire ? Il y a de nombreuses façons, mais l'une d'entre elles consiste à relier les points par des segments de droite : il est convenu que ces segments ne soient pas des résultats de mesure, mais seulement des façons de mieux faire apparaître les points. 

D'autre part, quand on n'en est plus à l'affichage des résultats de mesure, mais à leur interprétation, on peut chercher à savoir si les résultats des mesures suivent des lois particulières : les masses de viande diminuent-elles régulièrement ? linéairement ? exponentiellement ? C'est là une autre question, qui mérite un autre affichage, et une autre étude. Pourquoi, par exemple, se demander si les variations sont linéaires ? Il faut pour cela avoir une raison de poser la question, car il y a un nombre infini de décroissances possibles, de sorte qu'il serait parfaitement arbitraire de tester une linéarité. 

Bien sûr on pourrait dire qu'une décroissance linéaire est la "plus simple possible", mais "simple" est un adjectif, dont l'usage est donc interdit dans un laboratoire de bon aloi : tout adjectif, tout adverbe doit être remplacé par la réponse à la question "combien ?". Autrement dit, on comprend qu'il y a là tout un chapitre scientifique à ouvrir avant d'afficher une courbe qui passera plus ou moins bien par les points expérimentaux. Inversement, ce serait une immense naïveté, et une faute, que d'afficher la seule courbe que l'on connaisse, à savoir une droite, ou une exponentielle décroissante, par exemple. 

Le « modèle », c'est-à-dire l'équation retenue pour l'ajustement, doit être physique, ou chimique, ou biologique, c'est-à-dire fondé sur les phénomènes explicitement déterminés, et, en tout cas, c'est une faute de débutant que d'"ajuster" des points avec une courbe qui n'a pas de justification théorique. C'est inutile, tout d'abord, mais aussi nuisible, car cela nous conduit sur une voie qui est illégitime : nous sommes tentés de penser que cette variation particulière a une validité, un socle, et nous sommes tentés d'utiliser la courbe d'ajustement pour prévoir des résultats de mesure qui n'ont pas été faites. Ou bien, si la courbe retenue ne passe pas par un des points de mesure, nous risquons de penser que ce point correspond à une valeur anormale... alors que c'est la courbe qui n'a pas de raison d'être. 

 

Bref, nous utiliserions à des fins de prévision des lois qui sont littéralement "insensées". Et l'on comprend que cela n'est pas souhaitable, formulation qui est évidemment une litote !

vendredi 1 mars 2024

Les classes préparatoires, c'est le bonheur !

Je m'aperçois que je n'ai pas fait état de l'immense bonheur qui était le mien (et de celui de beaucoup de mes camarades) quand j'étais en classe de "Math sup" et de "Math spé", ces classes de préparation aux concours des Grandes Ecoles d'ingénieurs ! 

 

Il est dit parfois -mais sans doute par des paresseux ou des insuffisants- que ces classes seraient (en bon français, je devrait écrire "sont", mais je ne résous pas à ne pas mettre un conditionnel, sans quoi le verbe m'arrache la plume) terribles, qu'elles seraient des bagnes, que l'on serait alors condamné à travailler sans relâche, pendant deux ou trois ans, pour finalement jouer son existence sur des concours très aléatoires...

 Il faut dire très énergiquement que cela n'est pas vrai, et je veux témoigner ici du fait que ces classes sont, au contraire, la possibilité d'un immense bonheur... pour ceux qui aiment les mathématiques, la physique, la chimie (pour les classes préparatoires correspondantes).
En effet, après des années d'études très généralistes, pendant lesquelles on doit se disperser entre le français, les langues vivantes, les sciences naturelles, les matières scientifiques, l'éducation physique, etc., on peut enfin se consacrer aux matières que l'on aime le plus, à savoir les matières scientifiques, et elles principalement ; on peut approfondir ces matières, en voir mieux les beautés. 

Je me souviens, tout particulièrement, de mon émerveillement quand j'ai eu à manipuler le théorème de Gauss, quand nous avons abordé la thermodynamique... Certes, j'avais déjà lu des livres tels que le Calcul différentiel et intégral de N. Piskounov, ou bien le tome de physique statistique des Cours de physique de Berkeley ; je faisais de la chimie organique depuis longtemps au Palais de la découverte (merveilleux Palais de la découverte !)... mais quand même, il y avait beaucoup de matières nouvelles. La topologie, la théorie des nombres, des notions plus fouillées d'algèbre linéaire... 

D'ailleurs, il faut dire que l'enseignement était dispensé par des professeurs remarquables, très attentifs, intéressés (je sais que le "niveau" et l'implication des enseignants n'a pas baissé : récemment, des élèves m'ont dit que leurs enseignants les invitaient à les consulter à tout moment)... Et puis, aussi, nous étions enfin réunis avec des camarades qui partageaient les mêmes goûts que nous. Nous pouvions nous émerveiller ensemble, nous faire découvrir mutuellement des livres, des calculs, des idées... 

C'est là que j'ai découvert les cours de physique de Feynman, mais aussi les cours de chimie organique de Marc Julia, lequel venait d'introduire en France une chimie organique raisonnée, qui ne soit pas "au lasso" (quand on voyait deux atomes d'hydrogène et un atome d'oxygène traîner, on les entourait et l'on déclarait qu'il y aurait une réaction de condensation... ce qui est idiot, évidemment). 

Etions-nous condamnés à travailler ? Non : je dirais plutôt que nous avions enfin la possibilité d'étudier les matières que nous aimions. Nous avions du bonheur constamment. Et, évidemment, si nous avions ainsi bien travaillé, il n'y avait pas de doute que nous serions reçus aux concours. 

Bien sûr, il y avait ceux qui avaient du mal... mais pourquoi étaient-ils là ? Que signifie "avoir du mal" ? Je crois qu'il en va dans ces matières intellectuelles comme dans le sport : si l'on n'aime pas courir, pourquoi faire de la course à pied ? Ou comme pour le jardinage : pourquoi jardiner si l'on n'a pas envie ? Et si quelqu'un n'aime pas les mathématiques, la physique, les sciences chimiques, pourquoi irait-il faire une école d'ingénieurs, qui le conduira à manipuler ces matières toutes sa vie ? Certes, il y a ceux qui veulent devenir "patron" et pour qui les matières scientifiques sont seulement un outil de sélection, mais est-ce bien raisonnable de s'infliger deux ans de calcul... pour "diriger" (on a vu dans d'autres billets ce que je pense de cette activité, et l'on se souvient que je cite souvent Frères Jean des Entommeures : "qui suis-je pour diriger autruy moi qui ne me gouverne pas moi-même ?"). Bref, disons aux élèves du Secondaire qu'il y a beaucoup de bonheur à avoir dans les classes de préparation aux Grandes Ecoles d'Ingénieur !

jeudi 29 février 2024

Pour comparer, il faut... comparer !

Ce matin je reçois d'étudiants une photographie des blancs d’œufs en neige qui auraient été additionnés d'un peu de vinaigre. 

Ces étudiants me signalent que le vinaigre fait beaucoup d'effet sur le foisonnement, mais quand je leur demande s'ils ont fait un contrôle, ils s'étonnent de la demande, ne la comprennent pas, même. Pourtant, n'est-il pas "naturel" de penser que pour voir une amélioration, il faut voir deux états : le blanc d'oeuf battu en neige sans vinaigre et le même blanc battus en neige avec du vinaigre ? 

 

Mon objectif n'est pas, ici, de me plaindre du niveau des étudiants qui ne cesserait de baisser, mais je suis intéressé de comprendre comment il est possible que des étudiants n'aient pas eu l'idée de comparer, quand ils font une comparaison. Ce sont des individus intelligents, intéressés (apparemment) par leur sujet, et je me demande si la question n'est pas de méthode... 

Ce qui est encourageant : l'enseignement des sciences est manifestement utile, même quand il est élémentaire ! A noter que la question que mes jeunes amis étudiait était très difficile, parce que les blancs d'oeufs sont tous différents et, que pour faire une expérience comparative correctement organisé, il faut "pooler" les blancs, c'est-à-dire les mélanger en les faisant passer à travers un tamis très fin, qui désagrégera le gel dont ils sont en réalité constitué ; ce tamis, ainsi que tous les récipients et ustensiles, devront être particulièrement propres, sans traces de composés tensioactifs qui pourraient changer le foisonnement. En pratique, il faudra tout traiter par avance, voire travailler dans une salle blanche. Bien sûr, pour fouetter, il faudra trouver un système qui fouette toujours de la même façon, donnant toujours la même énergie. Et ainsi de suite. 

Puis, quand on aura les résultats expérimentaux, il faudra faire des études statistiques poussées, si l'on regarde un microscope, car les bulles sont toutes différentes, de sorte que sont les populations de bulles qu'il faudra comparer. Si l'on compare des volumes, il faudra savoir que les mesures de volumes de mousse sont très incertains, ce qui conduira à répéter des expériences, car une seule expérience ne vaut rien.

 Et il faudra alors faire des études statistiques des résultats. Les statistiques ? Considérons une chaîne de production de yaourts, dans une usine. Si la chaîne est réglée pour produire des yaourts de 100 grammes, il est impossible théoriquement (et pratiquement) que tous les yaourts aient une masse de 100 grammes. Bien sûr, la plupart auront des masses proches de 100 grammes, mais une petite proportion aura une masse bien plus petite, ou bien plus grande. Pour savoir si, un jour donné, la production reste conforme, il faudra prendre des échantillons, calculer leur masse moyenne, et comparer cette moyenne à la valeur de consigne (100 grammes). En pratique, la moyenne ne sera jamais 100 grammes exactement, et la question est de savoir si l'écart est possible dans la limite des écarts "normaux", ou bien si la différence est trop grande, si la moyenne de l'ensemble des yaourt produit ce jour là s'écarte de la valeur de consigne. C'est tout cela qu'auraient dû faire nos jeunes amis... et je crois que l'exercice qui leur était demandé n'était pas inutile, puisqu'il leur a fait comprendre que les explorations expérimentales imposent de bien calculer. Merveilleuse théorie !

mercredi 28 février 2024

Le savant et son oeuvre

 
Beaucoup de nos amis n'ont des sciences qu'une connaissance très limitée, parce que, au collège ou au lycée, ils n'ont pas été toujours aussi attentifs qu'on supposait qu'ils le seraient. Les cours sont passés à côté d'eux, et, en réalité, ils n'ont pas connaissances des faits qui leur ont été exposés, alors qu'ils n'écoutaient pas complètement. 

Il y a donc lieu de reprendre la chose, en essayant de bien montrer pourquoi elle a de l'intérêt. 

Pour les biographies de scientifiques du passé, tout tient dans l'idée selon laquelle nous somme ce que nous faisons. Un déroulé chronologique de la vie des scientifiques du passé n'a guère d'intérêt, parce qu'il n'y a là aucune intelligence. Il devient bien plus intéressant de présenter les découvertes, mais pas des découvertes désincarnées car de nombreux jeunes amis qui veulent qu'on leur racontent des histoires l'histoire ne voient guère de charme dans cette affaire. 

Ce qui est plus intéressant, c'est de relier le travail à l'homme ou à la femme qui l'a fait. En conclusion les biographies des scientifiques du passé sont surtout l'occasion d'expliquer les travaux et les circonstances de ces derniers. Il faut très certainement montrer pourquoi il était alors difficile d'obtenir des résultats qui ont été produits. Cela fera grandir à nos yeux ceux qui furent les artisans des découvertes. 

Pour autant ces hommes et ces femmes ne sont pas sans défauts.
Le grand Louis Pasteur, par exemple, avait un caractère si raide qu'il souleva contre lui les élèves et les professeurs de l’École normale supérieure quand il y il était directeur des études.
Chaptal, qui eut une carrière politique, fit nommer son fils à une mairie pour faciliter l'implantation d'une usine d'acide sulfurique qu'il avait créée, et qui nuisait au voisinage.
Marcellin Berthelot, qui fut encensé de son vivant, n'est en réalité pas si grand qu'il le faisait penser, et c'est la raison pour laquelle je me refuse à l'honorer d'une de mes inventions. Une certaine histoire hagiographique a retenu de Berthelot la synthèse de l'éthylène, dans un œuf en verre contenant deux charbons entre lesquels on faisait passer un arc électrique, mais cette invention n'est pas de lui, de sorte qu'il est hors de question de lui attribuer un plat à base d'oeuf, par exemple. Dans ce cas précis, il faut dire que Berthelot était le chimiste du parti laïc, et qu'il fut donc soutenu par son parti, qui le plaça au Collège de France, et jusqu'au Panthéon. Pourtant, à la même époque, Pierre Duhem était du mauvais, puisqu'il était religieux, fut relégué à Bordeaux. Certes Duhem avait un caractère entier, mais son travail scientifique semble, avec le recul du temps, bien supérieure à celui de Berthelot. 

Pour en revenir à nos biographies, il y a donc l'homme ou la femme, d'une part, et la découverte d'autre part. Cela est quelque chose trop sérieux pour que tous puissent y trouver de la grâce. De surcroît, l'exposé des travaux du passé conduit immanquablement à des explications techniques, qui risquent donc d'être arides si l'on n'y prend garde. Il faudra donc y mettre un peu d'humour, de gentillesse, de poésie, afin d'acclimater ces matières ne qui ont rebuté une grande partie de la population. Mieux encore, on oubliera pas que les sciences ont été et sont encore un outil de sélection, ce qui revient à dire qu'ils sont l' analogue de la règle qui tape sur les doigts du cancre. Comment aimer la règle, après ces années de douleur ? Les cuisiniers ont aujourd'hui leur revanche : ce sont des stars, qui se produisent à la télévision, alors que les scientifiques restent dans le silence de leur laboratoire, à moins d'être lauréat du prix Nobel ou ministre. Le premier cas ne se rencontre qu'une fois par an ce qui fait peu pour des dizaines de milliers de scientifiques et le second impose souvent des contorsions politiques qui, de toute façon, conduisent à apprécier l'individu pour une action qui est extérieure à celle de la science.

mardi 27 février 2024

L'encre sympathique

 
Je suis certain que vous connaissez ce vieux truc d’espion qu'est l’encre sympathique : on écrit sur du papier au jus de citron, est-il recommandé, et l’on attend que le papier sèche. Le message devient invisible, dit-on. Et seule une personne avertie le mettra en évidence en passant oe papier au-dessus d’une flamme. 

 

Regardons y de plus près. 

Avant de chercher l’explication de ce truc chimique, assurons-nous des effets. Commençons par écrire et regardons le papier : désolé d’abattre l’idée reçue, mais on voit parfaitement le message, même sans chauffer. A moins que les papiers anciens n’aient pas eu la blancheur des papiers modernes ? Admettons. Mais pourquoi le jus de citron ? Celui ci contient de l'eau, de l’acide citrique, de l’acide ascorbique. Comparons les effets de ces deux derniers corps en écrivant sur une feuille avec chacun séparément. Dans les trois cas, ça brunit! Pourquoi ce brunissement ? Une réaction chimique avec le papier ? Pour en avoir le cœur net, écrivons sur de la porcelaine de blanche avec les solutions précédemment préparées : on obtient les mêmes réactions colorées ! Alors puisque nous doutons maintenant de tout, utilisons des produits trouvés au hasard dans la cuisine : écrivons sur la porcelaine ou sur le papier avec du vinaigre, du jus d’oignon, du jus de carottes... Chaque fois, la chaleur provoque un brunissement, et c’est probablement une décomposition thermique des composés organiques en solution qui semble à la base de l’effet.

lundi 26 février 2024

A propos de bonnes pratiques scientifiques : la question des publications.

L'activité scientifique conduit à des résultats qui doivent être publiés. Ce que l'on peut dire autrement : une idée dans un tiroir n'est pas une idée. 

La publication scientifique, c'est quelque chose de très délicat, et constitutif de la science. La question est notamment que les articles sont évalués par des rapporteurs, et que c'est ainsi que la communauté produit des résultats plus fiables que s'ils étaient émis par des individus isolés. Lors du processus de publication, l'évaluation par les rapporteurs permet, quand les rapporteurs sont intelligents et bien intentionnés, d'améliorer la qualité des textes publiés. 

Tout cela, c'est dans un monde idéal, où la science rendrait meilleurs ceux qui la pratiquent, comme le disait Michael Faraday, avec une certaine naïveté que je partage, mais on sait que le monde n'est pas exclusivement composé d'individus droits, pas plus dans le groupe des scientifiques qui veulent publier que dans le groupe des rapporteurs ou même des éditeurs. 

Par exemple, je me souviens d'une très grande revue scientifique internationale, l'une des deux plus grandes, qui m'avait demandé d'expertiser un manuscrit scientifique. Ce texte était mauvais, car des calculs complexes avaient été fondés sur des prémisses fausses, et j'avais donc donné un avis négatif sans hésitation. Je ne connaissais pas les auteurs, mais le travail proposé n'était pas de bonne qualité, ou, plus exactement, il était complètement nul, puisqu'il s'agissait de faire des calculs sur des phénomènes qui n'étaient pas avérés. Quelle ne fut pas ma surprise de voir le texte finalement publié ! 

Cela, c'est pour des éditeurs, qui prennent des décisions de publication sur la base de rapports des rapporteurs, mais on pourrait en dire autant des rapporteurs, et je me souvient notamment de plusieurs cas, pour moi comme pour des collègues, où les rapporteurs outrepassaient manifestement leur rôle, qui était d'évaluer la qualité du travail.
Parfois, c'est simplement que leur propre niveau scientifique n'est pas suffisant, car, comme les rapporteurs ne sont ni payés ni considérés pour le travail d'évaluation des articles, les éditeurs les trouvent difficilement et doivent se rabattre sur des jeunes scientifiques (des doctorants qui travaillaient avec moi ont même été sollicités, alors qu'ils n'avaient donc pas encore leur thèse, et que leur compétence n'était pas suffisante).
Parfois aussi, il y a des contingences : naguère, quand les revues étaient imprimées sur du papier, la place était limitée, et les éditeurs recommandaient aux rapporteurs de limiter le nombre de publications acceptées. Cette contrainte économique a heureusement disparu car elle découlait d'une intrusion anormale d'éditeurs privés dans le processus de production scientifique.

 Aujourd’hui, avec les publications en ligne, la question a disparu, même s'il demeure qu'un éditeur investit du temps et du travail dans les publications : il faut trouver les rapporteurs par exemple, assurer le suivi, faire la mise en forme et la mise en ligne ; c'est du travail de secrétariat qui coûte de l'argent, mais, pour ce billet, restons sur l'idée de publication en ligne où l'on peut diffuser facilement autant d'articles que l'on veut. Il y a donc l'auteur qui envoie un manuscrit, le secrétariat de rédaction qui transmet ce manuscrit à un éditeur lequel est chargé de trouver des rapporteurs pour un contribuer à l'amélioration du manuscrit avant publication, ou éventuellement au rejet du manuscrit si celui-ci n'est vraiment de qualité suffisante. Pour les auteurs, nous pourrons y revenir une autre fois, car la préparation d'un manuscrit est une question difficile, à propos de laquelle il y a trop à dire. 

Nous nous focalisons ici sur le processus d'évaluation. 

Dans la mesure où l'on sait que des équipes scientifiques du monde travaillent sur des sujets analogues, on sait aussi qu'il existe une concurrence, et qu'il faut donc veiller à ce que celle-ci ne se manifeste pas dans le processus d'évaluation quoi on arriverait à des injustices. 

C'est la raison pour laquelle nous devons militer absolument pour l'évaluation complètement, doublement, anonyme : le secrétariat de rédaction doit envoyer aux éditeurs les manuscrits sans le nom des auteurs, sans trace de l'origine des textes, et, évidemment, les rapporteurs ne doivent pas avoir non plus cette information qui pourrait fausser leur jugement soit en bien soit en mal. Parfois on est impressionné par une grande signature et, parfois aussi, à voir l'origine d'un article envoyé par un groupe inconnu dans une province reculée, on risque de conclure hâtivement à une qualité insuffisante du travail. 

Non, il faut un double anonymat pour que le processus d'évaluation qui, on le répète, vise à améliorer la qualité des articles raisonnablement publiables puisse jouer pleinement et conduire à la publication d'articles de bonne qualité, utiles à l'ensemble de la communauté.