Il faut aider nos jeunes amis à se mettre dans des situation de travail confortable.
Et c'est ainsi que, pour les thèses, il est bon de leur donner l'idée générale suivante :
- la première année sert à faire une bibliographie serrée, et à mettre au point les expérimentations (à la fin de cette année, le brouillon complet de la partie de références du document de thèse doit être rédigé) ;
- la deuxième année doit être la production des résultats ;
- la troisième année doit être la publication des résultats et la rédaction du document de thèse, incluant les expérimentations de fignolage.
Mais pour les stages, également, il faut promouvoir cette idée. Par exemple, pour un stage de 8 semaines, il faut environ
- deux semaines et demie d'installation, lectures, recherches bibliographiques
- trois semaines de production des résultats
- deux semaines et demie de rédaction, finalisation.
Hervé This
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 4 décembre 2025
Pour un stage court, comme une thèse : 2, 2, 2
mercredi 3 décembre 2025
L'osmazôme qui se dilate ? Allons, soyons sérieux
Relisant l'Art de la cuisine française au XIXe siècle, je vois que le grand Marie-Antoine Carême s'est laissé à de la prétention ridicule : quel dommage !
Je lis en effet, dans le tome 3 (quatrième partie, page 367), à propos d'une "grosse pièce de boeuf à l'écarlate" qu'il faut "l'écumer doucement, afin de dilater l'osmazôme, pour obtenir le boeuf tendre et succulent".
Commençons par expliquer que cette pièce de boeuf est longuement maturée, au salpêtre et au sel, ce qui lui donne une couleur rouge... mais serait sans doute récusé aujourd'hui, alors que les nitrates et les nitrites sont attaqués.
Mais, surtout, il y a ce mot "osmazôme", qui n'est pas un mot de cuisine : le terme a été introduit par le chimiste Louis Jacques Thenard, pour désigner les solutions que l'on obtient en macérant des viandes (hachées) dans de l'éthanol (de l'alcool pur).
Le juriste, merveilleux auteur de fiction, Jean-Anthelme Brillat-Savarin, auteur de la merveilleuse fiction qu'est la Physiologie du goût, avait déjà évoqué l'osmazôme, dans un paragraphe complètement fantasmagorique, et là, je suis désolé de voir que Carême, qui semble avoir été un extraordinaire praticien, est tombé dans une prétention ridicule : comment ce fameux osmazôme se dilaterait-il, vu la définition que j'ai rappelée ?
D'ailleurs, le texte de Carême est mal écrit : on ne peut pas "écumer doucement", mais seulement écumer longuement en chauffant doucement la viande, à petit frémissement.
Et c'est parce que l'on cuit à basse température, sans jamais faire bouillir, que la viande devient tendre, le tissu collagénique (autour des fibres musculaires) se dissolvant avant de se contracter, et, donc, de faire perdre à la viande sa jutosité.
mardi 2 décembre 2025
Surtout l'incertitude et, mieux, la reconnaissance de l'ignorance
Grâce à un ami, j'ai mieux compris ce matin combien nous devons être prudents, malgré nos "certitudes" durement obtenues !
Mon ami est enseignant, et, mieux, enseignant en sciences de la nature, et il m'interrogeait sur les systèmes dispersés : mousses, émulsions, gels, etc.
Au cours de notre discussion, je me suis entendu lui répondre avec beaucoup d'assurance sur ce je... crois savoir ... jusqu'au moment où j'ai été amené à lui expliquer que, il y a plusieurs décennies, les auteurs de manuels de sciences de l'aliment publiaient que l'on devait avoir un fouet en fer et un bassin en cuivre pour faire ces mousses que sont les blancs d’œufs battus en neige, ou encore que les sauces mayonnaises devaient leur structure émulsionnée à des lécithines et que la moindre parcelle de blanc d'oeuf empêchait les sauces de prendre.
En réalité, il n'est pas juste de dire qu'il faille du fer et du cuivre dans le premier cas, il n'est pas juste de dire que les lécithines sont les tensioactifs ds mayonnaises, et il est faux de dire que le blanc d’œuf empêche les mayonnaises de prendre.
Commençons par expliquer tous ces points techniques, avant de revenir à notre analyse de fond
Pour les blancs d’œufs battus en neige, il s'agit simplement de disperser des bulles d'air dans l'eau qui fait 90 pour cent du blanc d’œuf.
Nos prédécesseurs évoquaient un "effet pile", et s'il est vrai que du cuivre et du fer plongés dans du blanc d’œuf font une pile, il reste juste que l'on peut faire un blanc en neige avec n'importe quel matériau, sans cet effet pile... qui n'a aucun rôle.
Mieux, quand nous avons battu le record de volume de blanc en neige (plus de 40 litres à partir d'un seul blanc !), nous avons fait cela avec des fouets et des culs de poule en inox, pour lesquels il n'y avait pas d'effet pile. Oublions cet effet pile, donc.
Pour les sauces mayonnaises, oui, les "phospholipides" - et pas seulement les lécithines- peuvent se disposer à l'interface eau-huile, mais ce sont surtout les protéines qui sont utiles pour cette émulsion qu'est la mayonnaise.
Car la mayonnaise est une "émulsion", avec des gouttelettes d'huile microscopiques dispersées dans l'eau apportée par le jaune d’œuf et par le vinaigre (pas de vinaigre, sans quoi la sauce devient une rémoulade). Et oui, ce sont les protéines qui sont importantes, parce qu'elles sont des sortes de cheveux bien plus gros que les phospholipides, et avec des charges électriques qui se repoussent, d'autre part.
La question de fond
Bref, nos prédécesseurs ont été très péremptoires, à dire des choses qui étaient fausses, et la question que je me pose est : que dis-je aujourd'hui de faux ? En quoi mes descriptions, mes "modèles", mes "théories", sont-ils erronés ?
Voilà qui est passionnant : faire la chasse à nos certitudes, chercher nos ignorances... Bien sûr, il nous faut dire les choses, avant de nous récuser, mais peut-être devrions-nous être prudents en disant ces choses.
Quand nous expliquons, ne perdons pas une occasion de nous interroger sur nos "certitudes", pour les transformer en hypothèses que nous pourrons tester.
Du point de vue de l'enseignement, ce débat doit-il être apparent ? Ne risquons-nous pas, alors, de perdre nos amis, au lieu de transmettre des bases à partir desquelles ils pourront discuter ?
La question se tranche facilement : après tout, qu'est-ce qui nous empêche de préciser que, avec l'état de l'art actuel, voici ce que l'on croit savoir. Surtout, il y a ce point essentiel pour mes collègues non plus enseignants, mais chercheurs : les investigations sont innombrables, puisque la moindre de nos données actuelles peut être explorée, en vue d'une réfutation. Dépassons rapidement nos certitudes, questionnons nos savoir.
Et, inversement, chérissons nos incertitudes, chérissons nos ignorances.
lundi 1 décembre 2025
Dans la série des expériences que montrent très pertinemment les musées scientifiques, il y a celle de la surfusion de l'eau.
Considérons de l'eau liquide, à la température ambiante. Si nous la refroidissons, vient un moment, à zéro degré, ou l'on voit l'eau se solidifier, former de la glace.
Inversement, si nous chauffons de la glace que nous sortons d'un congélateur à la température de -20 degrés (par exemple), elle reste solide tant qu'on n'a pas atteint zéro degré... et elle fond alors, se transformant en eau liquide à cette température particulière, qui est la température de fusion.
Mais si nous faisons la première expérience, celle du refroidissement, dans des conditions parfaitement contrôlées, avec de l'eau parfaitement pure, en dehors de toute poussière, sans vibration, alors on observe parfois un phénomène différent de "surfusion" : quand on refroidit l'eau, on parvient à la garder liquide même à des températures inférieures à 0 degré. Cette eau est alors surfondue, et l'expérience est amusante qui consiste à mettre dans l'eau une poussière, un petit cristal de glace, etc. : immédiatement l'ensemble prend en masse, se solidifie. On peut évidemment faire l'expérience avec d'autres composés que l'eau, et l'on trouvera ici fait des liens vers ces très belles expériences, que je recommande à tous mes amis :
https://www.youtube.com/watch?v=e5huXWeTOe8
https://www.youtube.com/watch?v=LiPvvPJpULE
dimanche 30 novembre 2025
Dans la série des expériences marquantes : la bille et la plume
Il y a des expériences de chimie ou de physique qu'il faut absolument montrer à tous.
L'une d'entre elles montre merveilleusement que, dans le vide, les objets tombent tous de la même façon, quelle que soit leur masse. Bien sûr, on peut s'en douter avec une expérience de pensée qui consiste à lâcher ensemble, d'une certaine hauteur, une haltère et l'haltère jumelle, mais coupée en deux moitiés : les trois objets tombent tous à la même vitesse, la coupure n'ayant pas changé quoi que ce soit... sauf diviser la masse initiale en deux.
Mais cette expérience de pensée est abstraite, et elle ne convainc pas autant que l'expérience réelle qui consiste à mettre, dans un tube en verre, une plume et une bille. Évidemment, quand on retourne le tube, la bille tombe très vite et la plume mets longtemps à arriver à la base. En revanche, si l'on fait le vide dans le tube, cela élimine les frottements de l'air, qui agissaient bien davantage sur la plume que sur la bille. Et, quand on retourne le tube, on voit la plume tomber exactement à la même vitesse que la bille de métal.
Je ne pense pas qu'on puisse oublier une telle expérience : https://www.youtube.com/watch?v=AV-qyDnZx0A ou encore https://www.youtube.com/watch?v=s9Zb3xAgIoY
samedi 29 novembre 2025
Mon Chateau de la science, plutôt que le Temple d'Einstein
Relisant un texte intitulé "Le Temple de la Science", qu'Albert Einstein écrivit pour l'anniversaire de Max Planck, je m'aperçois que je trouve ce texte imparfait, même si je l'ai largement diffusé.
Ici, je propose mon propre texte, où je modifie celui d'Einstein pour que le costume m'aille mieux:
"Des hommes et des femmes ont des raisons variées de se trouver dans le Château des Sciences de la nature. Leurs motivations, leurs caractères, leurs valeurs, leurs morales sont aussi divers qu'à l'extérieur, dans le grand monde. L’un, l'une s’adonne à ces Sciences parce qu'il ou elle y prend un plaisir merveilleux... qu'il ou elle pourrait toujours justifier avec d'autant plus de mauvaise foi qu'il ou elle serait plus intelligent, intelligente ; mais ceux-là n'ont pas besoin de perdre ainsi leur temps à se justifier, car il leur suffit d'être là, actifs, engagés, heureux. Pour eux, il y a ce bonheur des mécanismes du monde, tels des engrenages à l'infini. Leur quête est un sport suffisant, un monde animé, débordant d’énergie, la réalisation de tous leurs rêve. Leur engagement est "intrinsèque".
Mais beaucoup d’autres se rencontrent également en ce Château, et pour ces autres, les motivations extrinsèques ou concomitantes, plutôt qu'intrinsèques, ne manquent pas ! Il y a ceux qui viennent là pour régner, diriger (sur les autres).
Il y a ceux qui viennent là pour "gagner leur vie".
Ceux qui viennent là parce qu'il y a du monde, de la lumière, du chauffage...
Il y a ceux qui aiment la difficulté de l'opération.
Ceux qui y ont été conduits par leur famille, leur environnement...
Il y a aussi ceux qui sont là parce que pourquoi pas là plutôt qu'ailleurs.
Il y a ceux qui sont là parce que les hasards de la vie les y ont conduits.
Il y a ceux qui sont là parce que ce sont des marchands.
Il y a ceux qui sont là parce qu'ils admirent ceux qui ont un intérêt intrinsèque à y être, et qu'ils voudraient bien avoir, comme eux, une sorte de foi naïve dans les Sciences de la nature, ce qui, d'ailleurs, peut les conduire à s'y efforcer.
Et tous les autres.
Si un ange de Dieu apparaissait et chassait du Château tous les hommes qui font partie de toutes les catégories sauf la première, le Château se viderait, mais on y trouverait encore, tout de même, des hommes et des femmes du passé et du présent.
Parmi ceux-là, nous trouverions notre Jean-Marie. C’est pour cela que nous l’aimons. Je sais bien que, par son apparition, l'ange aurait chassé d’un cœur léger beaucoup d’hommes et de femmes de valeur, et même certains qui ont édifié le Château des Sciences.
Pour l'ange, la décision à prendre serait effroyablement difficile dans nombre de cas, d'autant que le Château ne se serait pas édifié sans beaucoup de ceux qui ont été exclus, tout comme une forêt ne survit pas si elle n’est constituée que d'arbres! Mais quand même, il faut admettre que beaucoup auraient pu se contenter de n’importe quel théâtre pour leur activité. Les circonstances auraient pu décider différemment de leur carrière, et ils auraient pu exercer des métiers d’ingénieur, d’officier, de commerçant, de sportif, de directeur, de président...
Regardons ceux et celles qui ont trouvé grâce aux yeux de l’ange. Ils sont singuliers, parfois solitaires et difficilement reconnaissables. Comment sont-ils arrivés au Château ? Difficile à dire, d'autant que les raisons ne sont sans doute pas les mêmes pour tous. Albert Einstein et Arthur Schopenhauer ont proposé qu’une des motivations les plus puissantes qui conduisent à une œuvre artistique ou scientifique est la volonté d’ "évasion du quotidien dans sa rigueur cruelle et sa monotonie désespérante, un besoin d’échapper aux chaînes des désirs propres éternellement instables". Cela pousserait les êtres sensibles à se dégager de leur existence personnelle pour chercher l’univers de la contemplation et de la compréhension objectives. Cette motivation ressemblerait à la nostalgie qui attire le citadin loin de son environnement bruyant et compliqué vers les paisibles paysages de la haute montagne, où le regard vagabonde à travers une atmosphère calme et pure, et se perd dans les perspectives reposantes semblant avoir été créées pour l’éternité.
Personnellement, je crois que le rejet -négatif- d'un monde "cruel", "désespérant", "monotone" n'est pas une bonne explication. Ne peut-on pas, plutôt, imaginer que l'intérêt intrinsèque pour les Sciences de la nature soit la vraie motivation ? D'ailleurs, le monde n'est ni cruel, ni désespérant, ni monotone... Il est le monde, et nous le voyons tel que nous en construisons la vision : à nous de le voir merveilleux, perfectible, d'une infinie variété...
Qu'importe, parce que la question n'est pas là : il y a dans les Sciences de la nature, dans leur pratique, seconde après seconde, un plaisir intrinsèque... qui n'est pas extrinsèque par définition. Et voilà pourquoi l'ange aurait tant de difficulté ! Oui, ceux qui resteraient dans le Château cherchent à se former une image du monde simple et claire. Ainsi surmontent-ils l’univers du vécu parce qu’ils s’efforce, dans une certaine mesure, de le remplacer par cette image. Mais non pas pour le vaincre, mais pour ajouter un niveau de vision. A la construction de cette vision intellectuelle, et à sa réalisation, ils consacrent l’essentiel de leur vie, focalisant leur énergie, échappant à l’expérience tourbillonnante et subjective du monde.
vendredi 28 novembre 2025
La cuisine note à note est venue après la cuisine moléculaire. Mais après la cuisine note à note ?
Dès le début des années 1980, j'ai milité pour une rénovation des techniques culinaires, proposant de faire venir en cuisine des ustensiles venus des laboratoires (de chimie, de physique, de biologie", et, en 1999, j'ai donné un nom à cette technique culinaire rénovée : cuisine moléculaire (à bien distinguer de la gastronomie moléculaire et physique, qui, elle, est une discipline scientifique).
Puis, en 1994, j'ai eu l'idée de la "cuisine de synthèse", laquelle a succédé à la cuisine moléculaire, et dont le versant artistique a pour nom "cuisine note à note".
Mais après ?
Dès que j'ai réfléchi à la cuisine note à note, je me suis interrogé sur la suite, et c'est ainsi que, il y a déjà de nombreuses années, j'ai imaginé que, dans le futur, puisque l'on commence à savoir injecter des idées dans le cerveau d'un rat, on pourrait injecter des goûts, et découpler le goût de la consommation. J'ai nommé cela de la "cuisine cérébrale".